« De l’intérêt de l’homme à honorer le féminin », Par Jacques Ferber
Pourquoi honorer le féminin quand on est un homme ? Pour être gentil vis à vis des femmes ? Par sentiment de culpabilité vis à vis du déni du féminin dans les siècles passés ? Pour se faire bien voir des femmes ? Parce que cela commence à être dans l’air du temps ? Bien évidemment pour aucune de ces raisons. Serait-ce alors un acte totalement altruiste ? En fait, honorer le féminin peut être vue comme un acte égoïste, divinement égoïste devrais-je dire pour bien montrer la singularité et le caractère paradoxal de cette dévotion. Il va ainsi de l’intérêt même de l’homme, de s’unir en amour et dévotion vis à vis du féminin, cette union du masculin et du féminin étant à la source de son propre déploiement personnel.
Et pourtant, cette démarche n’est pas du tout évidente ! De nombreuses théories scientifiques montrent en effet que le passé préhistorique de l’homme, en tant que chasseur et guerrier, lui a permis de développer des compétences particulières pour chasser, pister et se focaliser sur des proies en collaborant avec d’autres chasseurs. De plus en tant que « grand singe », le mâle humain désire être « dominant» pour pouvoir se reproduire avec la « plus belle » femelle. Tout cela lui a permis de développer des caractéristiques de courage, de détermination et de prises de décision rapide, tout ce qui est nécessaire pour survivre dans un environnement a priori hostile. Un autre aspect qui me paraît fondamental, c’est la relation à l’objet : les sciences cognitives montrent en effet que l’homme tend à voir le monde comme composé d’objets, là où la femme voit des relations, comme si le monde était une sorte de grand Lego, dans lequel il s’agit de connaître les méthodes d’assemblage ou les modes opératoires pour faire « fonctionner » les objets. Il suffit de contempler les hommes dans leur capacité – et leur plaisir – à créer, utiliser ou réparer des choses (voitures, bricolage, gadgets, informatique, etc.) pour s’en rendre compte.
De ce fait, un homme très yang (c’est-à-dire dont l’esprit est très focalisé sur cette manière « masculine » d’appréhender le monde), aura tendance à voir les femmes comme des objets, des entités désirables dont il faut simplement appuyer sur les bons boutons pour recevoir un peu de plaisir, un peu d’amour. Ce type d’homme peut alors croire qu’il suffit de faire ce qu’il faut pour « avoir » une femme: l’amener au restaurant, lui fait boire un verre, appuyer sur les zones érogènes dans le bon ordre, pour aboutir à sa propre satisfaction et aussi, si possible, être reconnue par sa partenaire. Il suffit de voir tous les « manuels » de drague pour comprendre que beaucoup d’hommes cherchent avant tout la méthode qui leur permettra d’atteindre leur but et non le développement d’une relation au travers de la découverte de l’autre, plus caractéristique du féminin.
Le yang ne connait pas non plus l’intériorité: tout est du domaine de l’intellect, du savoir, de la raison. Il ne voit pas du tout l’intérêt de travailler sur lui, d’aller à la rencontre de ce qu’il est, d’aller creuser ce qui fait qu’il agit d’une manière ou d’une autre. Et cela est vrai aussi bien pour les femmes très yang, très « business women » que pour les hommes yang. C’est une caractéristique du yang de se constituer comme un moi unilatéral, qui se vit comme suffisant. De ce fait, beaucoup d’hommes sont enfermés dans leur moi, et la relation avec les femmes s’effectue difficilement, celle-ci étant projetée, idéalisée ou dégradée. Comme le montre les formes religieuses patriarcale (christianisme, islam, judaïsme), la femme tend à être figée dans un rôle: soit mise sur un piédestal comme mère ou sainte, soit rejetée ou fantasmée dans sa composante sexuelle et alors considérée comme « putain ».
Certains hommes se sont rendus compte que le féminin était important et ont développé leur part féminine, mais sans conserver leur puissance yang. Cela donne, d’après moi, des effets très néfastes car l’homme privé de sa puissance ne peut plus entrer réellement en relation avec le féminin. Il perd alors sa virilité. Son risque consiste alors à chercher la puissance yang chez la femme. On voit ainsi de plus en plus de couples, surtout dans les milieux « spirituels », où la femme est plus yang que l’homme. C’est elle qui prend les décisions, qui ose, qui a le courage d’affronter la vie, alors que l’homme se contente de la suivre, donnant l’impression d’être un petit garçon avec sa maman. Il suffit de lire l’article d’Elizabeth Debold « What Ever Happened to the Viking? » (Debold, Elizabeth. « What Ever Happened to the Vikings? » What is Enlightenment? Issue 41, EnlightenNext: Maple Shade, NJ, 2008) publié dans le magazine EnlightenNext, pour comprendre le risque de cette féminisation de l’homme lorsqu’elle s’effectue dans un mouvement de balancier d’une domination masculine vers une domination que je qualifierais de « féministe ». Cette transformation de la société, liée dans les pays du nord à des politiques volontaires « anti-sexistes » consistant notamment, dès la crèche, à échanger les comportements stéréotypés entre garçon et filles (on pousse les filles à jouer avec des voitures et les garçons à jouer à la poupée) ont donné lieu à cette inversion des polarités, dans lesquels ni les hommes ni les femmes ne sortent réellement satisfaits de cette situation (voir par exemple cet article sur l’effet de l’antisexisme)
Une société féministe n’est pas une société où l’on honore le féminin, mais une société dans laquelle les femmes se transforment en hommes, et où souvent les hommes se transforment en femme, conduisant finalement à une inversion de la dominance traditionnelle. Ce n’est pas ce que propose la sexualité sacrée, notamment la sexualité tantrique, qui vise au contraire à ce que chacun s’ouvre à la polarité de l’autre sexe à partir de sa propre polarité. Cela a une conséquence fondamentale: si l’homme s’ouvre au féminin à partir de son masculin (et inversement la femme au masculin à partir de sa propre féminité), l’équilibre psycho-énergétique qui en résulte conduit à un sentiment d’équilibre et d’alignement profond.
En fait, tout se passe comme si nous avions deux centres principaux définissant notre équilibre psycho-énergétique: celui du sexe et celui du coeur. Le premier, le centre sexuel, définit notre énergie fondamentale à partir de laquelle nous pouvons agir dans le monde, alors que le second, le centre relationnel, contrebalance la première en caractérisant notre rayonnement et notre rapport aux autres et à soi. Le premier caractérise l’énergie du « moi » et le second ce que Jung appelle l’anima pour l’homme ou l’animus pour la femme. Pour un homme, la situation idéale consiste en un centre sexuel yang et un centre relationnel yin, et inversement pour une femme. Dans ce cas, l’homme utilise sa puissance, son courage, sa capacité de décision et d’action yang dans un contexte nourri par l’intuition, l’ouverture et la créativité yin. Il décide, tout en étant réceptif ce qui se passe autour de lui, attentif aux autres tout en étant à l’écoute de son ressenti.
De même lorsque la femme est en situation idéale, lorsque son centre sexuel est yin et son centre relationnel yang, elle peut agir avec affirmation, confiante en sa féminité, capable d’entrainer le monde par un rayonnement doux, inspirant, guérissant psychiquement les autres par sa présence, engendrant sa vie comme si elle donnait naissance au monde qui l’entoure. C’est à ce moment là qu’elle devient « bonne sorcière » ou « shakti » (terme tantrique désignant la divinité féminine s’unissant à Shiva, le principe masculin), utilisant son pouvoir féminin pour prendre soin du monde, pour créer toujours plus de la relation entre les êtres.
Mais lorsque la situation idéale n’est pas remplie, généralement à cause de blessures psychiques remontant à l’enfance, lorsque qu’il se produit un déséquilibre entre ces deux centres, notamment par un déficit énergétique du centre sexuel dans sa propre polarité, alors un autre centre prend le relais : le mental. Mais le mental, toujours yang, n’a pas réellement la capacité de rétablir cet équilibre qui se situe à un niveau « psycho-énergétique », et il va essayer de compenser par un travail intellectuel, conduisant à ce que nous connaissons bien sous la forme de ce dialogue intérieur permanent, ce « petit vélo » comme certains l’appellent, qui ne cesse de fonctionner à toute vitesse en essayant de résoudre avec la tête ce qui se situe « dans le corps » pourrait on dire.
En effet, lorsque le mental est trop présent, c’est souvent le signe d’un manque ou d’une mauvaise polarité du centre sexuel. Pour l’homme, cela s’exprime souvent par une intellectualisation intense, par une tendance à rationaliser, à rendre tout technique en créant ainsi comme une sorte de distance entre lui et le monde qu’il essaye d’analyser en permanence. Il est souvent mal à l’aise dans son corps, tentant de prendre une position avantageuse en société par ses qualités intellectuelles. Sa sexualité a tendance à exister sous la forme de fantasmes sado-masochistes ou fétichistes. Et lorsqu’une femme est trop « féminine », il peut être tenté de les contrôler en les manipulant, ou au contraire de régresser, devenant un petit garçon qui perd ses moyens virils devant « maman ».
De même, une femme coupée de son centre sexuel dans la vie quotidienne a tendance à devenir sèche, cassante, directive, contrôlante, peu généreuse, coupée des autres. Elle manque de confiance en elle, et pallie cet état de fait en devenant soit hyper-active, donc trop énergique, soit apathique et dépressive, comme une plante qui manquerait d’eau.
Mais que se passe-t-il dans le domaine sexuel? Dans un couple « idéal » sur le plan psycho-énergétique, l’homme nourrit la femme de sa puissance attentionnée, tandis que la femme ouvre le cœur de l’homme par son amour et sa rayonnante féminité. Chacun prend alors part à la célébration de la vie, chacun alimentant la rivière intérieure de l’autre, comme deux sources qui s’entrecroiseraient pour se donner mutuellement leur eau. C’est ce qu’on appelle l’Union Sacrée. Elle se met en place lorsque l’homme est en présence totale avec sa partenaire, et la femme, complètement confiante en lui, s’abandonne à sa puissance pénétrante. Elle peut alors lâcher prise et entrer dans son propre espace yin, constitué d’accueil, d’ouverture et d’abandon. Elle reçoit la force fécondante de l’homme, tout en se donnant à lui. Et ce faisant, son espace intérieur va pouvoir entrer en expansion, comme si le vide de sa Grotte Sacrée (de son sexe et de son utérus), devenait le cosmos tout entier, la matrice génératrice de toute chose. La puissance énergétique de l’amour et du désir détruit les couches du moi, accomplissant un travail d’expansion de conscience que l’on peut retrouver en méditation profonde, après des années et des années de pratique. Parfois la femme a l’impression de mourir dans cette extase prodigieuse, son corps n’ayant plus de limites, se dissolvant dans le grand tout. Dans un premier temps, cet abandon au plaisir va encore augmenter le désir et la puissance yang de l’homme, puis lui aussi va être entraîné dans cet espace que la femme lui ouvre avec son corps et son cœur. S’il en a le courage. Car à ce moment, l’homme peut avoir peur d’être englouti par cette puissance féminine. Il peut avoir l’impression d’un retournement de situation: lui si puissant, si dominateur il y a quelques instants, devient pris dans ce tourbillon créé par cette femme qui a totalement lâchée prise. Certaines peurs d’engloutissement liée à la toute puissance maternelle peuvent empêcher l’homme de lâcher prise à son tour. Mais s’il ose, il sera transformé par cette puissance érotique et extatique. Ce n’est plus faire l’amour mais voyager au sein du cosmos. Des images peuvent venir, des souvenirs anciens ou des formes archétypales peuvent survenir. On peut se sentir la puissance d’une divinité, ou celle d’un animal sacré. Dans tous les cas, si l’homme passe ce point, ce qui est ressenti dans cette union relève de l’indicible, de ce qui ne peut être traduit en mots. Seuls les poètes peuvent donner une image de ce voyage subtile qui fait entrer dans des espaces inconnus, tout en reliant de plus en plus à notre essence. La transformation qui sera effectuée va au delà du rapport sexuel : c’est la vie entière qui est transformée, comme le savent si bien les grands amoureux. Il sera comblé bien au delà des satisfactions de ses orgasmes ordinaires, et celui lui donnera une énorme confiance en lui-même, une capacité à conquérir le monde, à créer, à s’ouvrir à une dimension plus large donnant plus de sens à sa vie. Il pourra alors s’ouvrir à sa propre intuition (n’oublions pas que l’intuition est féminine, là ou la raison est masculine), prenant les bonnes décisions au bon moment. Sa vie sera plus fluide, plus simple. Cette puissance reconnue par la femme lui donnera la force de sortir de ses addictions s’il en a ou des ses dépressions, et d’agir pour son bien, celui de son couple, de son entourage et du monde. Il est ainsi nourri par la puissance féminine qu’il a contribué à féconder par sa virilité.
Pour en arriver là, il est nécessaire que l’homme soit confiant dans la puissance féminine et qu’il honore le féminin. Il s’agit de sortir du jugement (« oh les femmes, elles sont toutes xx »), d’ouvrir les yeux et de contempler la déesse dont il partage la couche nuptiale, de sentir qu’elle est la porte de la sortie de son enfermement « masculin », de la prison de son « moi ». Et la femme peut bien entendu aider l’homme à avancer sur ce chemin, en accueillant son « guerrier », en reconnaissant sa part de puissance et de vulnérabilité, et en s’ouvrant à sa virilité, sans tomber dans la « guerre des sexes » ou chacun essaye d’avoir le dernier mot. Pour cela, elle peut puiser dans ses ressources de « sorcière » pour utiliser ses pouvoirs à bon escient, afin d’assouplir le cœur de cet homme, s’il est trop yang, ou de valoriser sa virilité s’il est trop yin.
La femme peut ainsi ouvrir des portes insoupçonnables à un homme, à condition qu’il se « dédie » à sa compagne, comme un chevalier se dédie à la dame de ses pensées, qu’il affronte les dangers de l’existence pour elle, qu’il soit présent à lui et à la relation, qu’il ait le courage d’ouvrir la porte de son intériorité, sans pour autant cesser d’être homme, bien au contraire. Comme le dit Christian, ex-séducteur et compagnon de Marie depuis plus d’un an :
Ce que je vis avec Marie est difficile à décrire. Elle m’ouvre des espaces, me fait sentir des choses en moi que je ne connaissais pas. J’ai l’impression d’être totalement accueilli dans ce que je suis. Je me sens, pour la première fois de ma vie, rempli, unifié, en paix. Avec elle, en elle, je me sens étonnamment « at home » (je n’ai pas le mot en français), un endroit où je sens que tout s’apaise en moi. Je n’ai plus besoin d’aller ailleurs. J’aurais envie de dire, comme le disent parfois les femmes : elle me comble! Je me sens fort pour agir, puissant et confiant en moi, tout en étant ouvert aux autres. Je me sens différent, comme si Marie était une magicienne et qu’elle m’avait transformé. Ou plus exactement, c’est la relation qui nous a transformé tous les deux, car elle aussi me dit qu’elle se sent transformée depuis que nous sommes ensembles. Maintenant, mon énergie peut être mise au service du monde, alors que je l’employais auparavant à me servir moi-même.
Honorer le féminin, pour un homme, ce n’est pas déshonorer le masculin, mais s’ouvrir à la féminité tout en restant ancré dans sa composante masculine, en étant, comme on dit vulgairement (mais très justement), « dans ses couilles ». Il s’agit ainsi pour lui de célébrer les noces alchimiques du masculin et du féminin à l’intérieur de soi, au travers de la relation à la femme, et au delà au féminin dans son intégralité. Et tout cela, pour son propre développement. C’est l’égoïsme divin : se rendre compte qu’en honorant l’autre et le féminin, l’homme travaille en fait à son propre bien être, à son propre développement,… et finalement, au delà, à la Vie dans son ensemble.
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Cet article constitue une version étendue de l’article publié dans la revue Rêve de Femmes du n°22 (printemps 2011), merveilleuse revue à laquelle je vous conseille de vous abonner.
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